Les Français, pour beaucoup, ont découvert son bagout sur les plateaux télévisés lors de l'élection présidentielle. Ce proche de Valérie Pécresse était alors son porte-parole et reste son vice-président à la région Île-de-France, en tant qu'élu de Trappes (Yvelines). Dans la bataille interne des Républicains pour la tête du parti, Bruno Retailleau s'est adjoint ses services pour piloter sa campagne.
Libéral revendiqué, Othman Nasrou, devenu depuis premier secrétaire général délégué de LR, sonne l'alerte contre une « extrême gauchisation des esprits » qui pourrait, selon lui, favoriser une arrivée au pouvoir des Insoumis.
Il les accuse de tenir « un bulletin de vote dans une main et un cocktail Molotov dans l'autre » en attisant les braises de la contestation sociale. Face au « péril Mélenchon », il exhorte sa famille politique à se réarmer idéologiquement et à cesser de céder aux sirènes de ce qu'il appelle, en visant Aurélien Pradié, « la droite CGT ».
Le Point : Quels enseignements tirez-vous de la crise que nous traversons ?
Othman Nasrou : D'abord, le pays est de plus en plus difficile à réformer, alors que nous sommes paradoxalement dans un moment où nous n'avons jamais eu autant besoin de réformes structurelles profondes. Sans ces réformes, le pays continuera de sombrer dans une forme de déclin. Ensuite, la gauche a clairement été remplacée par une extrême gauche qui a choisi l'obstruction parlementaire et qui ne joue pas le jeu des institutions.
Les Insoumis prétendent vouloir tenir le gouvernail du bateau, mais ils font tout pour le faire couler ! Il y a une forme d'imposture : ils ont un bulletin de vote dans une main et un cocktail Molotov dans l'autre… Ce sont nos institutions qui sont attaquées par cette force politique, qui est en réalité toujours en dynamique.
Certains affirment que Jean-Luc Mélenchon serait en recul, mais les projections sondagières sur des législatives anticipées montrent que la Nupes pourrait devenir la première force politique. Voilà le véritable péril ! S'il doit y avoir un barrage républicain, c'est d'abord contre cette extrême gauche qui est en train de gagner la bataille des esprits.
La Nupes, de fait, a imposé les thèmes de gauche dans la discussion parlementaire…
Le débat sur la réforme des retraites, c'est vrai, a beaucoup tourné autour des options de la gauche. Et nous nous sommes par ailleurs, hélas, habitués à la culture du chaos. On trouve normal qu'il y ait des violences à chaque fin de manifestation et que les syndicats décident quand on peut se déplacer, qui a droit à l'électricité, quand on peut jeter nos déchets. Il y a une banalisation du désordre, un flou et une indifférence entre ce qui est légal ou non.
J'étais à Lille ce mercredi, où j'ai rencontré des étudiants de Sciences Po harcelés, menacés et pris pour cible sur un « mur de la honte » pour la simple raison qu'ils se sont opposés au blocage de leur établissement. Rappelons que, si le droit de grève et le droit de manifester sont des droits essentiels, les blocages, eux, sont totalement illégaux !
Être du côté de la loi et de sa bonne application est devenu en France un acte quasiment transgressif, dans une inversion totale des valeurs. Dans un sondage Ifop de mars, 35 % des Français cautionnent désormais le recours à des actions violentes pour se faire entendre. C'est très préoccupant.
Les élus également sont de plus en plus souvent pris pour cibles…
Les menaces sur les élus illustrent aussi cette dérive. J'ai, comme d'autres, reçu des images de guillotine parce que j'étais favorable à la réforme des retraites. Ce mercredi, des manifestants ont jugé parfaitement normal d'envahir la mairie du 9e arrondissement de Paris pour faire pression sur la maire, Delphine Bürkli. Certains veulent faire croire que soutenir cette réforme, pourtant nécessaire, ou s'opposer aux excès et aux violences en marge de la mobilisation sociale, c'est être contre le peuple. Rien n'est plus faux.
Cette culture du chaos à laquelle nous nous sommes habitués doit cesser. Il en va de même pour la bataille culturelle sur les sujets économiques. Il y a un point essentiel qui est passé totalement inaperçu aux yeux du grand public : les prévisions du Conseil d'orientation des retraites sont bâties, dès l'origine, sur un déficit structurel de base de 30 milliards d'euros par an – celui des agents de la fonction publique – qui s'ajoutent au déficit prévisionnel dont nous avons débattu ces derniers mois.
Les termes du débat sont donc biaisés depuis le départ ! C'est dire combien nous sommes parfois décalés par rapport à la réalité des choses. Quand cette réforme produira tous ses effets, nous serons toujours le pays d'Europe où l'on partira le plus tôt à la retraite. La réalité, c'est que le centre de gravité politique du pays s'est déplacé vers la gauche. On nous répète que la France est électoralement à droite, mais elle n'a jamais été autant à gauche sur le terrain des thèmes économiques et sociaux.
Vous parlez d'un « péril Mélenchon », mais quel péril précisément ?
J'identifie trois menaces, à commencer par une arrivée au pouvoir de Jean-Luc Mélenchon et de ses amis. C'est une possibilité qu'il ne faut pas prendre à la légère, car je rappelle qu'il n'est pas passé loin de se qualifier au second tour de la dernière présidentielle. En cas de dissolution, les Insoumis pourraient en outre devenir le premier groupe à l'Assemblée nationale et il est illusoire de croire que cela n'aura aucun impact sur la gouvernance du pays.
Enfin, je m'inquiète pour notre jeunesse. Les Insoumis ont de jeunes élus très rodés, qui ont mené la bataille culturelle depuis des années dans les facultés. Ils ont le vent en poupe et des fondamentaux très puissants. Si cette fragilisation des institutions perdure, je ne sais pas dans quoi nous pouvons basculer…
Quel regard portez-vous sur le patron du PS Olivier Faure, qui est devenu l'allié principal de Mélenchon ?
Il a le bras enfoncé jusqu'au coude dans le pot de confiture de la compromission ! Il y avait jusqu'alors une gauche républicaine. Elle manque à l'appel aujourd'hui. Je salue à cet égard les courageux qui, comme Bernard Cazeneuve ou Carole Delga, sont du côté de la République.
Emmanuel Macron a-t-il encore les moyens de réformer ?
Le président porte une responsabilité dans cette gauchisation des esprits, entre ses volte-face sur la réforme des retraites et son recours à l'argent public magique dont il s'est largement servi pendant son premier mandat, au-delà du raisonnable, en occultant totalement la réalité de nos finances publiques. Nous en payons le prix avec cette crise, et je crains que la facture ne soit encore plus lourde demain.
Par ailleurs, en se faisant passer pour la droite, alors qu'il détient le record des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires, il a fait se déplacer à gauche le centre de gravité politique du pays. À droite, nous n'avons cessé de l'alerter. Durant la présidentielle, Valérie Pécresse a été la seule à dire la réalité sur la situation financière du pays. C'était probablement impopulaire, mais voilà que la réalité commence à nous rattraper.
En 2011, à un an de la présidentielle, la droite au pouvoir avec Nicolas Sarkozy avait mené une politique impopulaire d'austérité après la grande crise économique et financière de 2008. Emmanuel Macron, lui, a préféré promettre un revenu universel aux jeunes à un mois de sa réélection.
Comment peut-on conclure un accord de gouvernement avec lui ? Pourquoi faudrait-il le faire ? Et avec quel Macron, d'abord ? Celui du « quoi qu'il en coûte » ou celui qui fait enfin, après six années de déni, une réforme des retraites ? Celui qui a nommé Pap Ndiaye ou celui qui a nommé Gérald Darmanin ? Celui qui a rogné le nucléaire ou celui qui l'a relancé ?
Quid d'une cohabitation où les Républicains poseraient leurs conditions ?
Si on veut arriver aux responsabilités sans renier nos convictions, il n'y a qu'un seul chemin : redevenir majoritaires dans le pays. J'espère que nous y parviendrons, car je suis convaincu que le salut du pays ne peut passer que par la droite. Il n'y a que la droite qui peut constituer une véritable alternative crédible, hors de toute démagogie, et cela suppose un important travail de refondation. C'est, à mon sens, la seule force politique capable d'endiguer l'extrême gauche.
Les Républicains ne doivent-ils pas balayer devant leur porte ? Vous êtes apparus totalement divisés ces derniers mois !
Nous nous sommes laissés contaminer par ce discours dominant de gauche sur les sujets économiques et sociaux, dans lequel certains, chez nous, ont peut-être vu une opportunité médiatique. C'est ce que j'appelle la droite CGT. Nous avons aussi payé le prix d'aventures individuelles qui ont totalement brouillé notre message. Quelle dérive de voir des élus de notre parti s'afficher avec un leader syndical en pleines grèves ! Dans une famille politique, il faut de la cohésion et de la clarté. À nous maintenant de réaffirmer notre ligne politique.
Nous devons dire aux Français de quoi nous sommes le nom. La droite, c'est le respect. Le respect dû aux générations futures que nous sommes en train de voler, en empruntant sur leur dos une véritable fortune pour maintenir un niveau de vie totalement factice. Le respect dû à nos institutions qui sont attaquées, notamment par l'extrême gauche, et qui sont fragilisées comme jamais depuis 1958.
Le respect dû aussi aux Français sur l'état réel du pays et le discours de vérité qui est attendu de tous les vrais patriotes. Le respect en ne cédant jamais à aucune facilité et à aucune de ces phrases inutilement blessantes qui heurtent les Français dans leur dignité. Notre responsabilité pour l'avenir du pays est colossale.
D'où peut venir le salut de la droite, qui paraît proche, pardon, de la mise en bière ?
Du Sénat, d'abord. Ces dernières années, la Haute Assemblée est devenue le principal contre-pouvoir à Emmanuel Macron, entre la commission d'enquête sur l'affaire Benalla ou celle sur les cabinets de conseil. Et, dans ce débat sur les retraites, Gérard Larcher a été le garant des institutions et Bruno Retailleau la boussole idéologique.
Le Sénat est un repère, qui a su se renouveler et occuper pleinement le rôle qui était attendu de lui, dans l'intérêt du pays. La droite peut aussi s'appuyer sur ses élus locaux, grâce auxquels elle peut se reconstruire, et grâce à ses militants qui sont toujours là malgré les difficultés. Je veux aussi saluer la décision d'Éric Ciotti de lancer des états généraux de la droite.
Les européennes de 2024 ne risquent-elles pas d'être, pour votre parti, le coup de grâce ?
J'espère, au contraire, que nous aurons une bonne surprise. Notre chef de file, François-Xavier Bellamy, a mené des combats emblématiques au Parlement européen avec de vrais marqueurs politiques et un excellent bilan. Son talent est une chance. C'est une échéance majeure pour notre famille mais, au-delà de ce rendez-vous, nous aurons besoin de la droite pour le pays.
Éric Ciotti s'était engagé à investir rapidement Laurent Wauquiez comme candidat. Qu'en est-il ?
Avec Bruno Retailleau, nous avions dit, durant l'élection interne de décembre, qu'il ne fallait pas que cette désignation se fasse avant les européennes, dans l'intérêt du candidat, quel qu'il soit, et dans l'intérêt du parti, car nous avons d'abord beaucoup à faire pour la refondation. Laurent Wauquiez a évidemment toutes les qualités pour prétendre être notre candidat, mais construisons les succès de demain étape après étape : d'abord la refondation, ensuite l'incarnation.
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